On appelle shogunat (ou shogounat) le gouvernement militaire qui fut de 1192 à 1867 le régime officiel du Japon. C’est surtout sous les shogouns du clan des Tokugawa (1603-1867) que le système s’imposa à l’ensemble du pays.
Shogounat ou l’âge des guerriers
À l’issue d’une longue lutte, sujet favori de la littérature épique japonaise, le clan des Minamoto écrasa, en 1185, celui des Taira: le Japon antique faisait place au Japon féodal. Conscient de l’incapacité de la famille impériale à prendre le pays en main, Minamoto no Yoritomo adopte en 1192 le titre de «général pacificateur des barbares»: Sei-i-taishogun, ou shogun. Sans supprimer le gouvernement impérial, qui reste en place à Kyoto, il édifie à Kamakura (au sud de la ville actuelle de Tokyo) un gouvernement simplifié, de type militaire, qui exercera le vrai pouvoir: c’est le bakufu (gouvernement sous la tente).
Le bakufu, pivot du système shogunal, reposait essentiellement sur les liens personnels de vassal à suzerain. À la mort de Minamoto no Yoritomo, en 1199, le pouvoir réel revint à la famille des Hôjô, sans que le système fût remis en question (et le titre même de shogun resta aux Minamoto). La dilution du pouvoir nuit à la compréhension du Japon féodal, théâtre d’une lutte d’intérêts incessante et souvent sanglante. Outre l’empereur, qui s’abritait lui-même derrière un régent (famille Fujiwara), on eut des shoguns et des «régents de shogun», sans compter les empereurs et shoguns «retirés», qui tiraient les ficelles depuis leur retraite, à travers le personnage de leur successeur. Les clans Minamoto et Hôjô ne surent pas garder le pouvoir: ils eurent le tort de mécontenter leurs vassaux, allant jusqu’à priver les guerriers de récompenses pour les donner aux prêtres, lors des invasions mongoles de 1274 et 1281.
Profitant d’une tentative de restauration du pouvoir impérial (empereur Go-Daigo), le général Ashikaga reprit le bakufu à son compte en 1338. Les shoguns du clan Ashikaga resteront au pouvoir jusqu’en 1573, bien que, dès le XVe siècle, le désordre fût à son comble dans les provinces, les seigneurs (ou daimyô) s’organisant en véritables puissances militaires. La lutte culminera avec la rivalité de trois grands généraux, Oda Nobunaga, Toyotomi Hideyoshi (qui envahit la Corée par deux fois) et Tokugawa Iyeyasu. Ce dernier, ayant triomphé par sa ruse implacable, installa en 1600 la capitale à Edo, la future Tokyo.
Période troublée, l’âge des guerriers est aussi celui où s’épanouit la culture japonaise: bouddhisme zen, art du thé, jardins, poèmes courts (haiku).
L’âge des marchands
Le shogunat est désormais établi sur des bases solides. Comme ses prédécesseurs, Tokugawa Iyeyasu s’impose comme le suzerain de tous les daimyô. Mais il se méfie d’eux. Il distingue les alliés anciens de ceux qui l’ont rejoint sur le tard. Il fait à tous l’obligation de venir chaque année à Edo, où ils devront résider une grande partie de leur temps, tenus, d’ailleurs, de prendre à leur charge l’organisation de cérémonies ruineuses. Une police secrète efficace permet au shogun d’exercer sur eux une surveillance constante. Qu’un seigneur soit seulement soupçonné de menées subversives, un envoyé du shogun viendra lui remettre le sabre avec lequel il devra mettre fin à ses jours, son château sera démantelé et ses samouraïs mis à pied. Prévoyant l’affaiblissement de ses descendants, Iyeyasu institue un Conseil des anciens, qui assurera la pérennité du système. La personne impériale, qui réside toujours à Kyoto, est plus que jamais privée de tout pouvoir.
Le Japon, héritier du shogunat
Pour instaurer ainsi un État fort et centralisé dans un pays déchiré par des siècles de guerres civiles, il a fallu pour ainsi dire fabriquer de nouveaux Japonais. Tout y contribua. Plus que jamais la société fut hiérarchisée (daimyô, samouraïs, marchands et artisans, paysans). La promotion sociale était à peu près inexistante. Ce n’est pas un hasard si le confucianisme, importé de Chine, fut élevé, dans le Japon shogunal, à la hauteur d’une doctrine d’État: ne met-il pas l’accent sur la nécessité de respecter les liens entre seigneur et vassal, entre père et fils ?
Les idées furent soumises à un contrôle sévère (répression du christianisme, qui commençait à se répandre dans le Sud; expulsion des étrangers); les comportements sociaux furent régis par un code strict, dans lequel il faut voir l’origine de la conception rigide des relations humaines qui prévaut encore dans le Japon contemporain. L’idée nationale fut renforcée par l’isolement: on alla jusqu’à interdire les voyages à l’étranger, sous peine de mort. Au XVIIIe siècle, un certain assouplissement permit cependant aux étrangers d’apporter leurs produits jusqu’à l’îlot de Deshima, au large de Nagasaki, seul point du Japon où parvenaient les produits européens. Ceux-ci, armes, horloges, instruments de mesure, traités scientifiques, excitèrent la curiosité des grands et suscitèrent la naissance d’une véritable science, le rangaku (étude des choses hollandaises).
Cette lente infiltration, sensible surtout dans le Sud, traditionnellement irrédentiste, sera en partie fatale au shogunat. C’est de là que viendront les «samouraïs de Meiji», des clans de Satsuma, Chôshû, Tosa, hommes nouveaux imprégnés d’idées nouvelles, qui hâteront la chute du shogun pour obtenir la restauration impériale et l’ouverture du Japon au progrès venu de l’étranger (période Meiji, 1867).
On ne saurait oublier que la paix fut le prix de la politique dure des Tokugawa.
La stabilité intérieure se manifesta dans le développement des techniques et dans la vie culturelle. La plupart des grands trusts du Japon contemporain sont nés sous les Tokugawa: les magasins Mitsukoshi furent fondés au XVIIe siècle. Les estampes révèlent un monde actif dont les deux pôles sont Osaka et Edo, où les marchands sont rois. Outre le commerce, l’industrie (extraction) et l’artisanat se développent avec rapidité. Pour la nouvelle classe dirigeante, des hommes de lettres tels que Chikamatsu Monzaemon écrivent des pièces dans des genres nouveaux: kabuki, bunraku (théâtre de marionnettes, au sujet souvent tragique, tels les «doubles suicides» de deux amants, poussés à la mort par la rigidité des barrières sociales).
Pour qui ne se mêle pas de politique et a su se tailler une situation, le shogunat de Edo est l’âge de la douceur de vivre (maisons de thé, geishas). Ce fut aussi une période constructive: la restauration de Meiji ne fit, en fait, que substituer l’entourage de l’empereur à celui du shogun.
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