Le trou de la pieuvre : Apoo fee. Depuis toujours, les gens de Raiatea et de Taha’a appellent ainsi ce puit bleu-nuit qui, comme une gueule béante, s’ouvre parmi les hauts-fonds turquoises immergés entre les deux îles. Le respect et la peur de vieilles croyances de Polynésie avaient longtemps tenu les curieux à l’écart. Et jusqu’à il y a une dizaine d’année, on était bien loin de se douter de ce qu’il dissimulait réellement…
Plongée à Apoo fee
En plongeant dans cette fosse sous-marine, là où peu de gens ont osé le faire avant nous, nous découvrons dans l’eau glauque, et par trente mètres de profondeur, une petite chatière qui s’enfonce dans les entrailles du lagon… Piqué par la curiosité, nous nous y aventurons… Nous venons de pénétrer dans le plus beau réseau de grottes immergées de Polynésie.
Un monde minéral spectaculaire, encore à ce jour très peu contemplé.
Tout a commencé par une légende. Une de ces vieilles histoires dans lesquelles des monstres, reclus dans les profondeurs de la mer ou de la terre, viennent hanter la mémoire des peuples. Des histoires qui, parfois, ont un fond de vérité. Ainsi, l’île sacrée avait son apoo fee (trou de la pieuvre) :
Une fosse sombre située au beau milieu de l’azur lagonaire.
À Raiatea comme à Taha’a on connait ce lieu depuis toujours. De père en fils, on le dénomme ainsi, sans jamais avoir vraiment oser s’y risquer; sans doute par tradition, par respect et aussi un peu par peur de s’attirer le mauvais oeil. Une sorte de tabou s’attache au site car la pieuvre est un dieu protecteur très respecté chez les Polynésiens. D’ailleurs dans la mythologie ma’ohi, la pieuvre représente le centre de la Polynésie et ses huit tentacules, son rayonnement vers les îles et archipels de même culture. Quand on sait que Raiatea pourrait être le centre de dispersion des Polynésiens vers ce que l’on nomme aujourd’hui le « triangle polynésien », la force mystique que pouvait exercer apoo fee sur les populations locales, prend alors tout son sens.
Avant novembre 1992, de mémoire humaine, personne n’avait encore exploré cette cuvette au riche passé. En compagnie de son fils et de Daniel Monnier, Patrice Philip sans préparation ni matériel conséquent – mais avec une bonne dose de courage (voire de folie…) – pénètre dans la grotte et atteint la profondeur de 56 mètres. Lors de cette première incursion, les trois compères ne verront pas le fond de la cavité qui leur paraîtra alors gigantesque et insondable… Apoo fee, de ses mille stalactites (celles qui descendent), vient de leur offrir les plus fortes émotions de leur carrière de plongeurs…
Plongée sous marine à Raiatea : une descente au paradis !
Tout autour, il y a le jade des petits fonds qui culminent à quelques dizaines de centimètres sous la surface. Et puis d’un coup, il y a le vert sombre aux contours incertains. C’est là qu’il faut s’enfoncer: trente mètres de descente dans un puit vertical où les particules en suspension ressemblent fort aux flocons drus d’une première neige. Il y a la chatière. Ensuite, une petite faille horizontale prise en sandwich entre une falaise de calcaire et un banc de sable fin qui n’attend qu’un simple coup de palme intempestif pour masquer, plusieurs jours durant, l’entrée (ou la sortie…) du gouffre. Une véritable descente aux enfers me direz-vous ? Non, plutôt une incursion au paradis ! Car une fois le seuil du réseau franchi, le faisceau des projecteurs surpuissants révèle un monde fascinant.
On est tout à coup projeté dans le domaine de la nuit, de l’immobilisme, du temps pétrifié. Sur la voûte s’accroche une nuée de spondyles momifiés. Les stalactites s’y agglutinent aussi par centaines; de la simple boursouflure que le temps n’a pas eu le temps de peaufiner, au pain massif à l’âge séculaire. Ici, point de faune grouillante et de couleurs chamarrées. La plongée est intimiste et le plaisir que l’on en tire est distillé par des impressions furtives. Celles engendrées par les ombres des grandes dents de pierre ou encore par les lumières des autres plongeurs qui courent et vacillent dans le noir comme des lucioles…
Moins quarante cinq mètres : une deuxième salle s’ouvre, aussi gigantesque que la première. Aux commandes d’un scooter sous-marin, nous évoluons sans aucune contrainte de place. Le manteau de sable fin qui recouvre le fond de la grotte est à une dizaine de mètres en dessous et libère l’esprit de la crainte de soulever un brouillard dangereux.
Moins cinquante sept mètres : la voûte vient rapidement rejoindre le fond. La fin du réseau est atteinte. Au loin un très pâle et très vague halo de lumière verte laisse deviner la direction de la sortie. Pas de monstre, ni aucune trace de son passage ! Les seuls êtres vivants à se manifester sont des petites crevettes de trois ou quatre centimètres, parées de stries rouge-orangé et visiblement incommodées par l’éclat de nos lampes.
Avant de rallier la pleine eau par une sortie secondaire, la grotte offre aux explorateurs un ultime et surprenant phénomène. L’air des scaphandres, accumulé dans la salle inférieure, parvient à se frayer un chemin dans la voûte poreuse et ressurgit là, engendrant de longues fumerolles de sable fin…
Dans cette antre sombre, la vie ne tient qu’ à un fil…
Jamais, peut-être, l’expression populaire « la vie ne tient qu’à un fil… » n’a autant collée à la réalité. Le fil en question, celui qui sépare le plongeur de la surface, de l’air libre et de la sécurité, celui qu’il ne faut jamais perdre des yeux…, est ici dénommé « d’Arianne« . Très vite, sera déroulée sur toute la longueur du boyau, cette « ligne de vie » sans laquelle tout retour tiendrait du coup de poker.
Qu’on se le dise: la plongée dans le « trou de la pieuvre » n’a rien d’une petite promenade de santé !
Il s’agit bel et bien d’une exploration spéléologique avec toutes les contraintes et les dangers que cette discipline implique. Ici, il n’y a pas de place pour l’improvisation. Hommes et matériels doivent d’être d’une fiabilité absolue. Les cent vingt mètres de galeries, qui courent sous quelques soixante mètres d’eau, sont sans concession. Pas question, en ces lieux, de faire un essoufflement ou une crise de claustrophobie… Et puis il y a ces satanées « fines » dignes des meilleures farines. Au moindre coup de palme déplacé, elles voilent en quelques secondes toute visibilité… Une bonne maîtrise de la stabilisation en pleine eau est donc impérative pour qui veut pénétrer et ressortir du « gouffre de la pieuvre ». Cette plongée, à l’évidence, n’est pas à la portée de toutes les palmes…
Un réseau encore dynamique
L’émerveillement des premières plongées a vite fait place aux interrogations sur l’origine d’une telle cavité. Les chercheurs de l’IRD (ex ORSTOM) furent aussitôt intéressés par cette découverte. En effet, « le trou de la pieuvre » pourrait venir conforter une théorie pertinente selon laquelle les récifs coralliens seraient des manifestations hydrothermales (c’est à dire contrôlés par des remontées d’eau océanique profonde selon un schéma dénommé « endo-upwelling géothermique »); théorie dont ils sont les initiateurs et qui a fait grand bruit dans la communauté scientifique internationale. A ce titre, des mesures diverses effectuées dans la grotte leur seraient d’un grand intérêt.
Pour l’heure, on ne peut donc que bâtir des hypothèses quant à la formation de ce réseau. La possibilité que la cavité soit un lavatube immergé, comme on l’aura cru aux premières heures de sa découverte, n’est pas totalement à écarter mais reste improbable. Il faudrait pour cela que la structure soit de nature basaltique (magma refroidi), ce qui ne semble pas le cas à Apoo fee. L’océanographe Francis Rougerie l’admet :
Un lavatube ? Pas impossible, mais bien compliqué !
Il qui pencherait plutôt pour un système karstique (calcaire). Derrière ce terme quelque peu « hermétique » pour les non-initiés, se cache en fait une action simple d’érosion. Le substrat calcaire, émergé à une période donnée, aurait été rongé, dissout, par des eaux douces agressives comme c’est le cas dans la constitution de nombreuses grottes de par le monde. La présence des stalactites renforce la thèse d’un passé aérien.
Avec la montée des eaux océaniques (il y a 20.000 ans, l’océan était 120 mètres plus bas !) la grotte aurait été immergée. Cela ne signifie pas que toute résurgence d’eau en mesure de dissoudre le calcaire ait été stoppée. L’absence de comblement du réseau par les sédiments de toutes sortes – qui n’aurait pas manqué de se faire au cours des âges – laisse présager de l’existence d’un système toujours dynamique.
Lors d’un reportage, un très léger courant et une variation de température auraient été décelés au plus bas de l’excavation. Ceci expliquerait pourquoi la transparence des eaux est la plus importante au point le plus bas et renforcerait la thèse selon laquelle des eaux douces ou des eaux océaniques profondes surgiraient toujours à cet endroit. Par ailleur, Apoo fee est-il un cas unique ou seulement la ramification d’un vaste réseau submergé ? Nous le voyons, la grotte de Raiatea n’a pas fini d’alimenter les passions et les interrogations; qu’elles soient scientifiques ou tout simplement motivées par le désir d’aventure !
L’ hôtel Raiatea Hawaiki Nui est le point de départ incontournable pour la découverte de l’île de Raiatea, la sacrée, la secrète, splendeur et richesse des îles volcaniques tropicales.
Le Trou de la pieuvre sur l’île de Raiatea vue du ciel : cliquez sur l’image pour agrandir
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